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Grand magasin

Ah ! Comme je la voudrais câline !

Souhait.

 

 

 

 

Je me retrouvais à traîner les baskets sur le Pond Neuf avec un pote. En face, sous un ciel laiteux un peu triste, je lis l'enseigne dorée : Samaritaine. D’accord ! C’était une idée puérile mais je me sentais jeune. Je déclarai : « Les grands magasins, tu vois ! C’est un endroit idéal. Idéal pour la drague, tu vois ! » Là-dessus, on y va.

Le rayon parfumerie était rempli de jeunes femmes au parfum aussi évocateur que ceux qui nous parvenaient aux narines. Et d’une beauté cosmétique!

Une vendeuse brune au regard azuré enveloppée d’une fragrance subtile, attirante, d’une voix douce : « Un renseignement ? me demande-t-elle.

— Oui ! Vous finissez votre travail à quelle heure ?

— Hum ! Très tard, … hélas !

— Dommage. »

C’était charmant et bon enfant. Cette représentante de ce qui fait les femmes belles, était exquise. Nous aurions pu nous en tenir là et partir ; heureux d’avoir pu échanger quelques galantes paroles avec une femme tout aussi galante mais voilà qu’au quatrième étage — rayon meubles — j’entrevois la silhouette rouge d’une jeune vendeuse. Seule, avec l’air de s’ennuyer.

« M’est-il permis d’essayer ce siège ?

— Non !

— Pardon ?

— De toute façon, vous n’avez pas les moyens.

— Ah, bon ? À quoi, vous voyez ça, mademoiselle ? Est-ce sur ma tenue vestimentaire ? Est-ce inscrit sur mon visage ?

— Bon, très bien, asseyez-vous ! »

Mon compagnon, qui n’avait rien suivi de ma discussion avec l’agressive, voulut lui-même engager la conversation.

« Je cherche un meuble pour…

— Mais vous êtes au rayon meuble !

— … ordinateur…

— Ecoutez, que voulez-vous ?

— Un bureau où je pourrais poser mon…

— Les bureaux se trouvent là-bas !

— … ordinateur… »

Ce dialogue — trop technique à mon goût — commençait à me gonfler un peu alors, me levant, je décidais de mon propre chef de rompre la monotonie de ces transactions. J’eus tort, je crois. Je m’approche de la miss et, touchant le revers de sa veste, je glisse :

« Cette couleur… Cette couleur vous va très bien, vous savez…

— Ah ! Ne me touchez pas ! On n’a pas gardé les moutons ensemble !

— Les cochons…

— Très bien, j’appelle le vigile !

— Hum ! »

L’excessive agacée, la voilà partie, arpentant tout le magasin à la recherche du vigile qui la délivrerait de notre intolérable présence. Il était préférable pour nous de ne pas trop s’attarder en ce lieu. C’était marrant, oui ! Mais la perspective de me voir bousculer sur un prétexte aussi dérisoire ne me réjouissait guère. Aussi, riant, nous prîmes le chemin de la sortie. Le client est roi, dit-on. Je suppose que ce titre devait s’appliquer à d’autres que nous.

Et comme toujours, quand l’implicite question se pose, quand l’éternelle question, comme une douleur lancinante, vient titiller mon esprit sans cesse porté à vouloir comprendre le pourquoi de toute chose même des plus insignifiantes, la voix du miroir me répondit, glaciale, physique, évidente. Omniprésente sur toute la surface, celle-ci s’imposa à ma vision naïve. Ce que j’entrevoyais dans ce carré de réalité liquide qui rendait l’écho de la lumière, c’était l’image de deux jeunes au menton dressé, le poil court, le teint mat, nippés large… C’était du par coeur. Indéniablement, pour certaines personnes, pour cette femme, comme nous portions l’empreinte de nos origines citées banlieues, nous étions des zonards, des lascars. Chieurs médiatisés, nous cherchions des ennuis pour fendre notre ennui. Etait-ce vrai ?

Nous repartîmes par la rue de Rivoli où tout, sous le ciel toujours laiteux, semblait plus triste encore qu’au début. La mort dans l’âme, mon pote et moi, nous n’avions plus vraiment le cœur à rire.

 

février 1997


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