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Rencontre (au Louvre)

 

JE suis la fille qui est assise. A cette table, au Louvre. En haut dans la galerie du Carrousel. Posé là, un chocolat chaud. Plus tellement chaud ! J’écris sur un cahier. Je suis américaine d’origine vietnamienne.

Je continue d’écrire. Je suis étudiante. J’étudie en France.

Un garçon vient. Il a une chemise rose et un blue-jean délavé. Des couleurs de bébé ! Il est très jeune. Il a de ces visages jeunes et fins de la jeunesse. De la jeunesse des cités des banlieues des grandes villes de France. Il a les cheveux courts bouclés. Le teint mat. D’Afrique du nord. Peut-être.

Il vient, il chuchote puis s’assoie en face de moi. Il demande s’il peut parler avec moi. Il me parle. J’imagine qu’il doit avoir l’habitude de s’adresser ainsi à des inconnues. Puis il dit deux-trois mots en anglais car il a dû remarquer que je n’étais pas d’ici. De France.

Moi, je ne lui parle qu’en anglais. Parce que je ne veux pas faire d’effort. Peut-être. Je lui demande de quoi il veut parler. Il répond qu’il ne sait pas, il dit qu’il veut parler de la vie et il regarde en l’air dans le vide comme pour voir l’invisible. J’imagine que c’est un genre qu’il se donne. Je ne suis pas dupe. Il continue. Quand il parle, il est affalé sur la table. Parfois, il se gratte la tête avec un air naïf.

Il dit qu’il ne parle pas très bien l’anglais parce qu’il a arrêté après le lycée pour ensuite faire son métier… Je ris. Il débite vite et n’importe quoi. Je ne comprends pas tout. Je ris. Quand je ris, il me regarde et souris. Ensuite, il précise sa pensée. Il dit qu’il est avec un ami et qu’il s’ennuie et qu’il aimerait parler à quelqu’un d’inconnu. Faire connaissance.

Je lui dis alors que je ne pense pas que nous puissions parler. Il me dit qu’il comprend, que c’est parce que il y a trop d'écarts entre nous. Je fais signe que oui. Alors, il dit : « Pourtant l’Afrique et l’Asie sont proches d’une certaine manière. D’une manière abstraite. »

Il part rejoindre son camarade, d’une démarche traînante. Mes yeux le suivent encore un peu, puis je l’oublie.

 

Je suis le garçon avec la chemise rose et le blue-jean délavé. J’ai l’esprit vide. Vide d’intérêt. Je trône sur la pointe d’une pyramide de verre. Ce que j’appelle mes idéaux ne sont rien d’autres que des fantasmes d’adolescent d’un siècle périmé.

J’étais lassé des miroirs, je voulais voir autre chose. Tes jolis yeux. Ce que j’ai voulu dire ? C’est que peut-être, la différence, la distance nous rapproche. Puisque l’univers est un cercle. D’une certaine manière. D’une manière abstraite.

Je me suis trompé. Les distances qui nous séparent toi et moi sont astronomiques. Il me faudrait parcourir des années-lumière dans l’obscurité pour te rejoindre. Toi aussi.

Mais il faudrait seulement que tu me reconnaisses… Pardon, je ne cherchais pas à te culpabiliser.

 

mars 1996


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