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Contrôle C

 

CE que j’ai vécu la veille, il n’en reste aucune trace dans les mailles du réseau. J’ai vérifié tous les accès que j’ai effectués à partir de chez moi et je n’ai rien trouvé qui pourrait me compromettre. Et pourtant, ce que j’ai fait hier et qui aurait pu me coûter la liberté pèse si lourd sur ma conscience que j’éprouve le vif besoin de me confesser.

Hier, j’ai encore cherché à revoir Justine. A l’église, je me suis assis près d’elle. J’ai pensé pouvoir lui parler, la convaincre de m’épouser. J’ai juste tenter de lui toucher la main, elle m’a jeté un regard vipérin et a retiré sa main. Je sais, elle ne veut pas de moi. Quand elle faisait son stage au centre de contrôle des comm’ où je suis responsable, je lui envoyais des messages sur son pupitre. Elle disait qu’elle trouvait cela indécent. Elle dit que tout ce que j’écris dans mes poèmes est obscène et ordurier. Elle est la seule à qui j’ai fait lire mes textes, j’ai pensé la séduire de cette façon. J’ai eu tort. Elle est si prude, si droite, si froide. Quand elle m’a annoncé son intention d’adhérer au mouvement des femmes chrétiennes, j’ai cessé de l’importuner avec mes écrits pour me cantonner à une cour conventionnelle. Seulement tout ce que j’ai pu écrire n’est rien à côté de ce que j’ai vu et vécu cette nuit-là.

Après la messe, j’ai déambulé dans les rues de Paris sans but précis. Mes pas m’ont conduit dans un quartier de métèques. La plupart des gens que je croisais, étaient des nègres et des arabes, parfois je croisais des asiatiques. Tous portaient l’insigne sur leur veste leur donnant le droit de fouler le sol français.

Les métèques sont toujours une grande curiosité pour moi. Je n’ai jamais traversé les frontières du royaume, les terres étrangères, je les vois à la télévision et sur les banques de données du net. On raconte tellement de choses sur les terres étrangères, les cultes qu’on y pratique sont si éloignés de notre sainte église que l’idée d’y vivre ne serait-ce qu’un jour me paraît intolérable. Les métèques sont rares en France, seules quelques grandes villes possèdent leur quota d’étrangers. D’une manière générale, les étrangers sont source d’ennui et de problèmes. Un de mes amis s’est vu enfermer dix mois dans un centre de rééducation morale pour avoir forniqué avec une négresse et aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est le frère de la femme qui a appelé la garde qui est venu embarquer les fornicateurs et le frère. J’ose à peine imaginer le supplice qu’ont dû subir la femme noire et son frère…

C’est en passant dans une rue non loin de Montmartre que je suis tombé sur la boutique informatique. Elle était tenue par un asiatique. En vitrine, j’ai remarqué qu’un simulateur d’ambiance était mis en vente. Depuis plusieurs mois, je projetais d’acquérir l’un de ces appareils : j’avais grand besoin pour méditer, de ressentir l’ambiance tranquille d’un paysage champêtre, rêver d’autre chose qu’à la grisaille triste de la ville. Le prix affiché était très raisonnable.

Je suis entré dans le magasin et ai indiqué du doigt la boîte du simulateur. Le vendeur a d’abord commencé par me l’amener puis il s’est ravisé. Il a prétendu de vive voix que l’appareil avait été mis en vitrine par erreur et qu’il n’était pas à vendre. Il parlait avec un fort accent chinois, son petit sourire figé ne me plaisait guère. J’ai insisté, finalement j’en faisais une affaire d’honneur. Je hurlais, je le menaçais de le dénoncer à la garde. En tant qu’administrateur réseau, j’occupe une place importante dans la gestion de la ville mais je n’ai aucun titre de noblesse. Seulement ma tenue, mon ton autoritaire peuvent laisser entendre que je possède un certain statut au sein de l’aristocratie parisienne. Il a fini par me céder l’appareil. Il semblait complètement dépité comme si la vente du simulateur signifiait son arrêt de mort. Je n’y ai pas prêté attention ; j’ai validé le paiement avec ma carte de crédit puis je me suis empressé de sortir du magasin, la vue du chinois m’était devenue insupportable.

J’ai dîné comme à mon habitude seul dans mon logement de fonction en regardant les informations à la télévision. On ne parle que des affaires du Vatican et du tournoi d’escrime où la France s’est qualifiée en finale en battant la Grande-Bretagne ; pas un mot sur les émeutes sanglantes des quartiers Nord de Marseille, ni sur l’exécution de l’écrivain hérétique ce matin, informations sur lesquelles je suis tombé par hasard sur le net.

J’ai éteint la télévision. J’ai regardé distraitement la boîte du simulateur, c’est alors que j’ai remarqué qu’elle avait déjà dû être ouverte. Un morceau de l’attache était déchiré. J'ai déballé l’appareil. Ce n’était pas un simulateur qui se trouvait à l’intérieur de la boîte, mais un équipement cybernaute visiblement d’un modèle ancien. Le genre de modèle dont la vente ou la possession mène droit au cachot. Je suis resté quelques instants indécis : devais-je dénoncer le Chinois pour revente de matériel subversif ou caché l’équipement en attendant de trouver le moyen de le faire disparaître au risque de me faire dénoncer à mon tour par un quelconque sycophante à l’affût derrière une fenêtre ?…

Il faisait encore bien jour, j’ai fermé les volets et j’ai branché l’appareil sur la prise réseau de mon appartement. L’équipement se composait d’un disque d’accès à un site internet, d’un casque et de quelque chose que j’avais déjà vu en photo : un clavier. Ce dernier me parut étrange. Il était de petite taille, les touches étaient de type mécanique. Comment une invention pareille a-t-elle pu exister ? On avait très vite abandonné l’idée de piloter un terminal réseau au moyen d’un clavier et préféré la commande par impulsions cérébrales. J’ai passé ma main sur les touches du clavier pour sentir ce qu’aurait pu éprouver un programmeur si ce type d’interface avait été développé. Cela faisait un léger bruit, rien de très extraordinaire. En enfilant le casque, je pouvais voir ce que l'action des touches pouvait produire sur l’environnement cybernétique virtuel qui s’était précisément visualisé au moment de l’insertion du disque. Très vite, j’ai réalisé que d’envoyer les commandes mnémoniques par le biais de ce clavier était pénible. J’ai donc tenté d’émettre des ordres mentaux. La plupart des commandes étaient interprétées par le casque, je pouvais transmettre les directives au serveur auquel je venais d’accéder. Ensuite, je n’ai plus eu à me soucier de rien, car le casque commençait à m’envoyer directement des images dans le cerveau. Je me suis assoupi dans mon fauteuil. Le décor qui s’était peu à peu construit était celui d’une cité semblable à n’importe quelle grande ville de France.

Les rues grouillent de véhicules automobiles crachant des fumées noires qui doivent être en partie responsables de l’odeur étrange qui plane dans l’air. Je déambule dans les rues. J’observe. Les gens sont vêtus de manière provocante. Surtout les femmes. Elles montrent leurs cheveux, leurs jambes, le haut de leur poitrine. L’air, en plus d’être vicié, est suffocant, le climat est chaud. Je saisis quelques bribes de paroles au passage. Les gens s’expriment en français mais certains mots sont empruntés à d’autres langues européennes, d’autres sont carrément incompréhensibles. Je note que beaucoup de personnes ont le teint hâlé comme celui des métèques ; cela ne semble déranger personne, d’ailleurs je croise des groupes où des étrangers basanés donnent la main à des blancs sans aucune gêne. Partout des panneaux montrent des images obscènes d’hommes et de femmes dévêtus vantant les mérites de quelconques produits de consommation.

Le jour faiblit.

La première personne qui s’adresse à moi, est un jeune homme à l’allure louche. Je comprends à ses paroles, à ses manières efféminées que j’ai affaire à un sodomite de la pire espèce, le genre d’individu qu’on condamne au bûcher pour déviances. Ma tenue vestimentaire semble avoir excité sa curiosité. Je me laisse guider par l’homme. Il m’amène devant une grande porte qui donne sur un boulevard. Il fait nuit maintenant. Devant la porte, une femme vulgaire d’aspect et un nègre de grande taille et de forte stature se dressent l’air absent. Ils nous jaugent un instant puis nous font entrer. À l’intérieur, un bruit assourdissant, une sorte de musique menée à un rythme excessif remplit tout l’espace. L’atmosphère est saturée d’odeur de tabac et de parfum de toutes sortes. Le jeune homme se met à se trémousser sur place, un moment, je suis tenté de le cogner mais je préfère l’abandonner. Je n’ai qu’une envie : quitter ce lieu sordide… Avant de passer la porte, une jeune femme s’accroche à mon cou et m’attire vers le milieu de la salle où la foule s’agglutine, dansant sur ces rythmes effrénés. Je la regarde un moment. Elle porte des vêtements noirs qui laissent paraître les formes de son corps, ses cheveux blonds ondulés tombent sur ses épaules nues, libres sans attaches ni foulard. Ses lèvres sont rouges, provocantes, le noir autour de ses yeux bleus accentue le trouble qui se dégage de cette femme. Et son parfum !… Chaud, enivrant, je me sens vivement attiré. Elle se frotte à moi, faisant un léger balancement des hanches, des frissons me parcourent.

Je lui parle. Elle sourit et me répond mais je ne comprends pas ce qu’elle me dit. La plupart des mots qu’elle prononce sont étouffés par le bruit ambiant. Je m’enquiers du nom de cette cité. Elle rit. Je l'entends crier : " MAIS C’EST PARIS ! " Je lui demande ensuite comment autant de gens ont pu se connecter sur ce site passant outre à l’autorité des censeurs de l’état. Elle se remet à rire et glisse une phrase que je ne comprends pas.

La femme passe ses mains derrière ma tête puis m’embrasse. Sa langue cherche à s'introduire dans ma bouche. Je ne fais rien pour m’opposer aux avances de la femme. Au contraire, je passe mes mains à sa taille dénudée et la caresse au vu de toute cette foule de déments.

Après avoir refusé à plusieurs reprises le verre d’alcool que la femme me tend, nous sortons finalement de ce lieu de débauche. Nous marchons dans des rues parallèles au boulevard. La femme devant, moi derrière incapable de réfléchir et fiévreux de désir. Elle me fait pénétrer à l’arrière d’un des véhicules garés le long d’une rue déserte et sombre. Très vite, elle m’embrasse en défaisant ses vêtements puis les miens. Les vitres sont opaques et personne ne peut nous voir mais si l’équivalent d’un garde venait à passer ?… Sommes-nous en train de commettre un crime ? Puis, je me souviens : ne suis-je pas tranquillement installé chez moi dans un fauteuil ? Tout ceci n’est qu’une espèce de jeu virtuel qui se déroule dans ma tête ! Pourtant, je ressens la douleur quand la femme me mord le bras et me griffe le dos, je sens son parfum qui ne me quitte plus depuis que je l’ai serré dans mes bras. Mais j’éprouve surtout le désir ardent de la pénétrer sans tarder. Elle se retourne, me prend le sexe et s’assoie sur mes cuisses. Dans cette position, elle glisse mon pénis dans son vagin en poussant un soupir. A peine a-t-elle effectué quelques mouvements du bassin que l’envie de m’abandonner me prend. Alors, je la retiens pour qu’elle bouge moins vite. Je m’applique à la caresser lentement pour capter mon attention, pour retarder le moment de mon orgasme et faire durer le plaisir…

Mais que suis-je en train de commettre ? Forniquer dans la rue ! À cette pensée, je me retire précipitamment laissant couler ma semence blanche et visqueuse entre les fesses de la femme. Je cherche à sortir du véhicule. Ne trouvant pas le moyen d’ouvrir la portière, je me mets à hurler comme un fou, tout en réprimant l’envie de me déchaîner sur la femme. Celle-ci me regarde, plus surprise qu’effrayée, elle m’ouvre et me pousse sur le trottoir en me jetant mes habits à la figure. Après quelques minutes, le véhicule émet un bourdonnement puis part en vrombissant. Je me relève, nu. Je n’ai pas le temps de me rhabiller qu’un homme vêtu de couleur sombre m’interpelle d’une voix agressive. Il s’approche de moi et m’ordonne de remettre mes vêtements sur-le-champ. Je comprends que je suis en présence d’un représentant de l’ordre moral. Son insigne porté à son habit doit l’attester. Je m’exécute sans mot dire. Une pensée me vient : si tout ceci n’est qu’un jeu, un rêve cybernétique issu du délire pervers d’un groupe séditieux voulant porter atteinte à l’ordre moral, qu’ai-je à craindre de cet ersatz de garde ? Pourquoi ne pas pousser le vice jusqu’à le provoquer ? Qu’est-ce que je risque ? Toute l’agressivité accumulée depuis mon arrivée dans ce Sodome et Gomorrhe parisien remonte à la surface, j’abats mon poing vengeur sur le visage du garde en poussant un cri de rage. Celui-ci s’écroule à terre en se tenant le nez. Il porte la main à sa ceinture et en retire… Une arme ! Tout semble si réel ! Pris de panique, je me précipite sur l’homme pour le neutraliser… Un bruit assourdissant tonne ! Mon bras est en sang et la douleur est bien réelle. Je m'enfuis en passant derrière les véhicules essayant de me protéger d’une éventuelle attaque du garde. La peur et l’angoisse me gagnent. Comment sortir d’ici ? Comment arrêter le jeu ? Interrompre ce cauchemar ? Suis-je vraiment tranquillement assis dans un fauteuil, dans mon deux-pièces, un casque sur la tête, inondé d’images obscènes et immorales ou bien suis-je dans ce Paris de tous les vices poursuivit par un garde armé décidé à me tuer pour l’avoir agresser ? Je cours. Le sang coule le long de mon bras, la douleur est insupportable.

Traverser les routes relève de l’exploit, les automobiles émettent des sons assourdissants lorsque je passe devant.

Étrangement, le lieu me semble familier. Cet endroit, je le connais. Dans la réalité, c’est un quartier du 8e arrondissement. Ainsi, ce monde est cohérent. Calqué sur le monde réel, il en possède certains éléments. Peut-être retrouverai-je le chemin de mon appartement ? Mais le trajet jusque chez moi me paraît impossible à faire dans ces conditions. Sous les réverbères, je risque de me faire repérer. Je me glisse dans une rue peu éclairée, un peu plus loin, une porte d’entrée d’immeuble est ouverte, je m’écroule sur le palier.

Du temps s’est écoulé, j’entends de l’agitation dans la rue, le son d’une sirène retentit et semble s’approcher par ici. Il me faut sortir du programme, trouver le moyen de me réveiller. Je m’imagine assis dans mon fauteuil. Je dois retirer le casque que je porte. C’est lui qui contrôle mon cerveau. Mais… Impossible !… Je suis toujours affalé sur le palier de cet immeuble me vidant de mon sang. Je vais mourir si je n’arrive pas à interrompre les tâches du programme. Un ordre mental aurait suffit sur n’importe quel équipement moderne mais là… Le casque ne semble pas opérer pendant l’exécution du programme. Que reste-t-il à part le clavier… Le clavier ! Je le visualise mentalement. Je commande à mes doigts de courir sur les touches, de taper la combinaison de touches qui commande l’interruption du programme… Contrôle C ! On a ouvert la porte d’entrée… CONTRÔLE C ! Des gardes armées me tiennent en joue et me crient de ne pas bouger…

CONTRÔLE C !

Un voile noir moucheté d’étoile vient couvrir les images de mon cerveau. Je perds connaissance.

La pièce était plongée dans le noir quand j’ai enlevé le casque. Mon bras droit était douloureux mais aucune trace de sang sur mes vêtements, juste du sperme séché. C’était bien un rêve. Je me suis déshabillé, j’étais très fatigué et nauséeux. En retirant ma chemise, j’ai senti un parfum. Seigneur ! Je me suis senti chaviré… C’était son parfum ! Le parfum de la femme sans honneur, la femme lubrique, la perverse, l’impudique, la débauchée, celle avec laquelle j’avais péché ! Ce n’était pourtant qu’un rêve… Cette pensée m’a hanté plusieurs heures ; j’ai fini par m’endormir.


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