Anonyme Anonyme - Connexion - Membres : 210 • Visiteurs :  / Aujourd'hui :  • En ligne : 86
Connexion :  
Se souvenir de moi Mot de passe oublié ?
Pour devenir membre, Inscrivez-vous Inscrivez-vous

Idylle en mer

 

L’OCÉAN était une immense feuille de plastique transparente bleu vert qui ondulait, animée d’une vie propre, imperceptible, et reflétant le lourd soleil d’été. Sur cette vaste étendue d’eau, un petit bateau décrivait des cercles.

Malik avait arraché des eaux profondes, une créature chimérique, une sirène mythique. Quatre paires d'yeux d’adolescents regardaient la forme allongée, inanimée, qui s’égouttait sur le pont du bateau comme une éponge de mer abandonnée sur le sable.

C’était une jeune femme brune à la peau très claire habillée d’un maillot noir deux pièces.

« Eh ! Negro ! Téma ! téma un peu c’qu’a rapporté Malik ! Ça, t’as pas le droit de toucher, c’est comme le porc, c’est pas hallal ! » lança Mounir, tout en se tripotant le machin au travers de son short de bain. Il donnait la vague impression d’avoir envie de pisser ou bien d’être envahi par une armée de morpions.

« Vas-y ! Ferme-là ! Je fais c’que je veux ! » répliqua Youssouf — celui que Mounir appelait negro — du haut de ses deux mètres, pieds nus et noir de nature à l’instar du slogan écrit sur le tee-shirt qu’il portait. Près de lui, un jeune asiatique qui répondait au prénom de Michaël commença à s’accroupir pour regarder la fille de plus près.

C’est alors que Malik, qui dégoulinait d’eau salée, commença à la ramener : « Bon ! Arrêtez de fantasmer bande de tâches, cette fille, c’est moi qui l’ai pécho… pêchée j’veux dire, et j’te promets que, ni toi — il désigna Mounir — ni le grand renoi, vous allez me la taxer… » Il stoppa net : Michaël s’était allongé près de la jeune femme et avait passé sa main dans sa culotte. « Putain ! Elle… Elle mouille la tassepé !

— Bâtard ! Casse-toi ! Malik poussa Michaël d’un coup de pied à l’épaule.

— PUTAIN ! Nique ta mère ! enculé ! Qu’est-ce… qu’est-ce qui t’arrive !

— Ta gueule ! Connard ! Il m’arrive que t’es qu’un enculé qu’a jamais baisé d’sa vie et qui va pas commencer par me piquer mes meufs. Compris ! »

« Et puis sache, bouffon, du haut de ta grande connerie que si elle est en train de mouiller, c’est juste que j’viens d’la sortir d’la flotte… et qu’elle est tout excitée à l’idée s’envoyer en l’air avec un athlète de mon niveau. Hé ! Hé !

— Ha ! Ha ! Ouais ! Dans l’vent ! reprit Mounir. Attend, Malik. Pourquoi que tu demandes pas à la dame c’qu’elle en pense ? Ab’jour mademoisille, j’m’appelle Malik, ji suis champion de boxe thaï de la téci en vrai et sur ma console Play-station, ji l’ai une p’tite queue mais une grande gueule. Toi vouloir bien faire niq-niq avec wham, MadmoisiiiiilLE ! » Il profita de l’occasion pour soulever la tête de la fille inerte et de lui envoyer un baiser digne d’un film d’aventure.

« T’as vu ! Elle est folle de moi !

— Et puis, merde ! vous m’cassez les couilles avec vos conneries, entonna Malik. T’as qu’à la tripoter autant qu’t’en a envie tant qu’elle est dans le coltar. Dès qu’elle se réveille, tu vires tes sales pattes de ma déesse. Compris ?

— Si señor ! Gracias ! » dirent d’une seule voix Mounir et Michaël.

« Ça, c’est une meuf que t’aura pas besoin de faire boire pour te l’a pécho ! Hein ! Mounir ! déclara Youssouf qui venait de s’asseoir pour éviter de rentrer en collision avec la voile qui se balançait aux grès des vents.

— J’t’emmerde ! Negro ! T’a qu’à en faire autant ! Moi, j’en ai marre de me palucher depuis deux jours. Là, j’ai l’occasion de tirer un coup ! Et c’est tuigra… »

Mais la fille choisit le moment précis où Mounir avait baissé son caleçon pour remuer et vomir une espèce de truc verdâtre, sûrement des crudités qu’elle avait prises avant de faire sa balade en mer.

« Aaaah ! Non ! Putain ! râla le petit asiatique. Elle… Elle aurait pu attendre avant de gerber, ç’au… ç’aurait pu faire la bouffe du soir pour Youssouf, lui qui bouffe jamais d’viande !

— Eh ! t’es un comique le petit chinois ! Et ma main dans ta petite gueule, tu penses pas que ça te suffira pour damer ce soir.

— Vas-y j’plaisante, te fâche pas ! » répondit Michaël d’une voix radoucie. Il se tourna vers Mounir : « Ça fait toujours ça quand tu roules une pelle à une meuf ?

— Non ! D’habitude, elle tombe à mes genoux et e’m’péta une turlutte ! Mais elle, j’crois bien qu’elle s’est tapé un grecque la veille et qu’elle l’a trop arrosé !… Elle est complètement chirée à la tise, la meuf ! »

Tandis que les jeunes débitaient leurs commentaires mêlés de rires et de moqueries, la fille continuait à tousser et à cracher, la tête penchée en avant. Malik sentait monter la nausée en regardant la fille vomir ainsi. Au début de leur voyage, il avait souffert du mal de mer, ça s’était un peu calmé depuis mais maintenant ça semblait revenir. « Bon ! Arrêtez de parler un peu ! Z’êtes sans pitié les mecs ! » s’exclama-t-il. Mounir et Michaël cessèrent mais ils continuaient à pouffer de rire bêtement. Au bout de quelques minutes, la fille reprit totalement conscience. Elle demeura assise, jambes croisées ramenées vers elle, toute grelottante malgré la chaleur assommante qui régnait à bord du bateau.

Malik s’agenouilla en face d’elle, faisant bien attention d’éviter le vomi qui jonchait le pont du bateau, et commença à lui parler.

« Salut ! Ça va ? » Comme elle ne répondait pas, il continua : « C’est moi qui vous ai sorti de la mer, vous… » Mounir glissa : « Vous faites souvent la traversée de l’Atlantique à la nage ? C’est marrant, j’vous avais jamais croisée jusqu’à maintenant !

— Bon ! Ta gueule, Mounir. Tu vois pas qu’elle est choquée. » Mounir, accompagné de Michaël explosèrent de rire. La fille les regarda avec ses yeux rougis par l’eau de mer ; elle sourit. « Elle aime ton humour, Mounir ! lança Michaël.

— Je pourrais lui faire aimer autre chose », chuchota Mounir en évitant de se faire entendre par la fille.

« Merci beaucoup ! » finit par dire la jeune femme, d’une voix teintée d’un fort accent anglais ou américain.

« J’m’appelle Malik, vous, c’est comment déjà ? reprit Malik.

— Janet.

— Salut Janet. Eux, ce sont des potes, Mounir, Michaël et Youssouf. On f’sait une balade en bateau, c’est une chance qu’on vous ait vue. » Il omettait de préciser que le bateau n’était pas à eux et qu’ils avaient… disons, effectué un empreint.

« J’vous aide à vous relever ? dit-il en glissant sa main sous le bras de la fille. On a qu’une seule cabine mais y a une couchette où vous pourrez vous reposer. » Il l’aida à se relever, lança un clin d’œil complice à ses camarades et, sous leur regard jaloux, il la conduisit à la cabine.

Plusieurs minutes passèrent avant que Michaël prenne la parole : « Sa mère, la pute ! Qu’est-ce qu’il fout avec la bikini girl !

— Qu’est-ce que tu crois ? répliqua Youssouf qui s’était lancé dans une série de pompe afin de tuer le temps.

— Vous savez quoi ? reprit Michaël, comme s’il n’avait pas entendu le noir. Ce pé… pédé est en train de… de s’la taper, j’vous dis… Eh ! Youssouf, arrête un peu, enculé ! Tu vas nous faire chavirer… »

Mounir ironisa sur les propos de Michaël : « Tu l’as dit, c’est un pédé qu’est-ce que tu veux qui fasse ? Une partie de frotti-frotta à la Mister Loverman ?

— Ha ! Ha ! Haaaa ! Michaël s’accrocha au grand mat. Il peut bien la so… sodomiser si c’est un pédé ! Putain ! Vas-y ! S’te plaît ! J’aime pas quand le bateau bouge comme ça… Vas-y ! Merde !

— Chacun prend son pied comme il peut, renchérit Mounir. J’ai bien l’intention d’user de mon charme sur Miss Janet Jackson Five tout à l’heure ! Ouais ! Quand l’autre pédé aura finit de lui lécher le minou parce qu’il aura pas réussi à bander assez pour s’enfiler une poteca…

— Écoute, frère ! coupa Youssouf, s’asseyant. Je peux te garantir que Malik, c’est loin d’être une tapette. Je l’ai déjà vu emballer des femmes dans des situations plus critiques…

— J’te nique », chantonna Mounir. Devant l’expression de stupéfaction du grand black, il éclata de rire : « Eh ! Negro ! C’est pour la rime ! » Et il entama un air de rap où rimait « nique » et « flic » et d’autres mots du même gabarit. Accompagnant cette rythmique verbale, le souffle du vent qui sifflait dans les voiles, donnait naissance à un son singulier presque inquiétant. Au loin, si l’on déniait regarder à l’horizon, on pouvait percevoir la côte filtrée par la brume. Le soleil avait commencé sa lente descente sur l’eau.

Malik réapparut au bout d’un moment qui avait semblé, pour les autres, une éternité. Le sourire aux lèvres, satisfait.

« Quoi ? Vous avez jamais vu un mec qui vient de tirer un coup avec la plus belle femme du monde.

— Non !

— Eh ben, vous en verrez jamais ! Parce que cette meuf, vous m’croirez ou pas, c’est une toxico et j’crois bien qu’elle a le dasse. Moi, même avec une saloppe de capote, j’prendrais jamais le risque de faire trempette dans sa chatte, vu !

— Putain d’sa mère ! »

Mounir se mit à cracher ses tripes comme s’il avait goûté à du cyanure, Michaël se frotta le doigt à l’eau salée jusqu’au sang. Seul Youssouf, qui n’avait pas touché la fille, affichait un franc sourire. « Darwoute Rabbi ! » lança-t-il en éclatant de rire.

 

La fille dormait encore quand, au petit matin, ils abandonnèrent le bateau pour rejoindre le rivage à la nage.

Malik foulait du pied les ripple-marks qui ridaient le sable de la plage pour l’instant déserte. Il marchait un peu en retrait de ses camarades occupés à polémiquer sur les modes de contraction de la maladie dont était supposée souffrir la fille et qui avait provoqué leur fuite. Il regarda au loin le voilier qui dérivait toujours faute d’avoir été ancré. Lentement, imperceptiblement, le bateau, presque immobile sur la mer plate, s’approchait du rivage. Sur une pensée fugace qui traversa son esprit, Malik ne put s’empêcher de lâcher un petit rire. Il cracha en marmonnant une insulte puis pressa le pas pour rejoindre les autres.


Télécharger l'œuvre au format papier (PDF) Télécharger l'œuvre au format papier (PDF)