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Carnage chez Mickey

 

CETTE nouvelle attraction s’annonçait être un désastre. Le parc d’Euro-Disney se voulait un lieu enchanté destiné à accueillir pacifiquement les tout jeunes et les moins jeunes. Et pourtant, les organisateurs avaient placé un personnage représentant un soldat en arme sans que l’opinion n’y trouve à redire.

Ces connards avaient tenté l’expérience et ça avait l’air de plaire. Depuis 45, on avait eu droit à toute une série de guerres sanglantes, les gens depuis des décennies avaient été progressivement habitués à supporter la vision du beau soldat grand et fort ; le ciné avait réhabilité les soldats du Viêt-nam, les mômes jouaient aux GI Joe et les infos louaient les performances technologiques des dernières guerres en applaudissant à chaque fois qu’un missile venait s’abattre sur une cible ennemie…

C’est moi qu’on a choisi pour porter l’uniforme du GI Billy-Bob, personnage sorti du dernier film d’animation des studios Disney.

En plus d’une combinaison en caoutchouc, je porte un treillis couleur sable, une ceinture remplie de cartouches de gros calibre, un fusil d’assaut avec baïonnette et quelques grenades accrochées un peu partout et pour finir une grosse paire de rangers un peu futuriste qui me fait ressembler à un golgoth. Ça pèse lourd !

J’ai 19 ans, c’est mon premier job. Ça fait deux mois que je bosse. C’est l’été. J’en ai marre. Marre de la direction, des organisateurs, des cast-members, des merdeux qui te filent des coups de pompes dans le dos. Des abrutis qui pensent que derrière le masque c’est vide… et qui t’en mettent des tapes derrières la nuque… Gros cons !… J’ai vraiment les nerfs. Surtout depuis que ma salope s’est cassé avec un autre type. Mais le plus grave c’est que j’ai raté mes exams et la fac n’accepte pas de me reprendre cette année…

 

Ils sont venus me trouver. Comme par enchantement alors que j’avais le plus besoin de parler à quelqu’un. Je sais pas comment mais ils ont dû sentir que j’allais craquer. Ils ont dû sentir que je voulais en finir avec la vie. Ils m’ont expliqué ce que je devais faire et j’ai trouvé ça facile. J’ai trouvé que c’était un bon rôle à jouer. J’ai pensé que ça allait même me faire marrer. Deux mois à supporter les gens, c’était plus que suffisant pour me faire une opinion de l’espèce humaine. Et c’est sans aucun regret que j’ai accepté d’être l’instrument de leur projet. Ce qui m’a plu, c’est l’apparente gratuité de l’acte. Ils ne m’ont donné aucune explication pour justifier ce qu’ils projetaient que je fasse. Leurs revendications étaient floues. J’ai pas vraiment pigé. Mais ils s’y étaient bien pris si bien que j’ai pas eu l’impression d’être embrigadé par une espèce de groupe extrémiste. J’avais pas l’impression qu’ils avaient une idéologie particulière à défendre… Rien. Peut-être qu’en fait, ils voulaient rien. Et pour moi, ça tombait bien, je savais pas trop ce que je voulais non plus…

Comme prévu, ils m’ont fourni l’équipement. Identique à celui que je porte depuis deux mois mais en vrai. J’ai même en prime un colt que j’ai pas su identifier. Tout ça, ça pèse plus lourd…

 

Je suis resté un long moment dans le vestiaire. J’étais seul. Je me suis fumé tranquillement un joint. Ensuite, je me suis sapé. J’ai été rejoindre mon poste où m’attendait ma responsable. Elle m’a salué avec un gros sourire tout en me signalant que j’avais 5 minutes de retard. La sale pouf !

Le parc a ouvert.

Billy-Bob est un héros. Il sauve la terre de l’invasion extraterrestre. Je leur montre à tous ces merdeux qui je suis. Généralement je me prends des coups de pompes dans le dos et quand je me tourne vers celui qui m’a frappé, tout le monde baisse la tête. J’ai beau avoir que 19 ans, je mesure quand même 1m95 et je pèse près de 98 kilos. Ça doit se sentir malgré l’uniforme et le masque que je porte qui me donnent l’air d’un cartoon ! J’ai eu souvent des avertissements pour certains gestes réflexes que j’ai eus à l’encontre des clients. Ma responsable dit même que je fais peur. Mais je colle trop bien au personnage et c’est pour ça qu’ils ne m’ont pas encore lourdé. Ils vont voir à présent comment je colle vraiment bien au personnage…

J’ai laissé passer deux pauses, au cours des quelles je me suis fumé des joints. À midi, j’ai bouffé un sandwich arrosé d’un Coca et je me suis rallumé un joint. J’étais détendu. Je ne pensais à rien de particulier. J’attendais seulement le moment. Ils m’avaient dit 15 Heures. J’attendais 15 Heures. J’avais deux cachets à prendre une heure avant. C’était sensé me donner assez de couilles pour le taf… Je faisais tout ce qu’ils m’ont dit. Je faisais tout à la lettre et sans réfléchir…

 

Un môme tire sur la manche de mon treillis… J’entends son père qui me gueule quelque chose mais je suis comme tétanisé. Je ne bouge plus. Autour, tout semble aller au ralenti. Tout à coup, j’entends ma montre. 15 Heures, c’est le signal ! Je me remets en mouvement en décrochant un direct du droit en plein milieu du visage du papa qui vient s’écraser au ralenti sur le sol poussiéreux.

Silence. Puis une clameur s’élève de la foule.

Tranquillement, je décroche une grenade et je la fais rouler vers le gros de la foule. Et je cours dans la direction opposée. Quand elle explose, c’est la panique. Je pointe mon fusil et commence à mitrailler la foule. Je ne vise personne en particulier, je tire sur tout ce qui bouge. Les gens trop près de moi, je les transperce à la baïonnette. Ça court partout, ça hurle, ça pleure !

Les gens se rendent pas bien compte de la fonction d’un soldat ; ils ont à l’esprit l’image médiatisée du casque bleu peace-maker, chevalier des temps modernes chargé de protéger la veuve et l'orphelin. Moi, je suis un vrai soldat, et j’ai pour mission de nettoyer la zone. Assainir la place. Déshommiser le secteur ! Mais c’est pas un village de paumés au milieu du désert irakien, ni la Tchétchénie, c’est ici ! Marne la Vallée ! En France, putain !

Ma responsable arrive sur moi, elle semble pas trop réaliser ce qui ce passe. Elle ouvre une bouche démesurée. Je l’entends hurler quelque chose… Ma baïonnette lui coupe le souffle et elle ne termine pas sa phrase. J’épuise toutes mes réserves de grenade sur les gens que je continue à l’arroser au fusil en même temps. Je m’imagine dans " Commando " comme Arnold, sauf que pour l’instant, il n’y a personne pour me tenir tête… J’ai parlé trop vite, une balle a sifflé au-dessus de ma tête. Ils ont pas perdu de temps, ces bâtards ! Je cours me protéger vers un restaurant tout prêt qui s’est immédiatement vidé à mon arrivée. Je plonge derrière un comptoir. Ma tenue devient insupportable. J’arrache le masque que je porte pour mieux respirer. Une glace à côté me redonne l’image d’un jeune homme blond au regard fou… j’ai du mal à me reconnaître. Pendant tout ce temps, les gendarmes ont débarqué et ils me canardent sans arrêt. Je n’ai plus moyen de fuir ainsi retrancher derrière le bar. J’attends.

 

Ils étaient sortis de nulle part. Deux mecs en costard noir, la trentaine, grands, cheveux bruns courts, un visage impassible. Je sortais d’une de ces soirées à la con que des paumés organisent sur le centre presque chaque soir pour décompresser de la journée comme ils disent. Une vrai tour de Babel, dans ces soirées, personne qui parle la même langue !

Ils m’ont interpellé en m’appelant " Billy-Bob " ce qui m’avait surpris, j’étais pas en uniforme et je voyais pas comment deux gars que j’avais jamais vu, pouvaient savoir le rôle que je tenais chez Disney. À cette première rencontre, on s’est contenté de faire connaissance. Ils savaient tout de moi, tout au sujet de mon job mais aussi de ma vie sentimentale, de ma famille et le reste… Les fois suivantes, ils ont commencé à me mettre au parfum… Doucement au début, avec cette manière de s’exprimer quasi-hypnotique qui caractérise les gens qui ont la foi en ce qu’ils disent, puis ensuite ils m’ont tout déballé. J’ai pas hésité. Ne me demandez pas pourquoi, c’est comme ça. Une impulsion subite !

 

Je suis en sueur et pourtant je tremble, les tirs n’ont pas cessé. C’est certain, je m’en sortirai pas vivant. Je réalise pour la première fois que je vais crever. Ça m’avait jamais traversé l’esprit même les fois où j’avais pensé en finir en avalant de ma mort aux rats. Mais là, la mort est si présente…

« Billy-Bob ! »

Une petite fille se tient debout devant moi et me regarde avec deux grands yeux ronds et noirs. Je sors mon pétard dans un geste réflexe — pas de doute ! j’ai ça dans le sang !

Mais la petite ne s’inquiète pas pour autant :

« Billy-Bob, elle répète. Viens par ici, ils te trouveront pas ! »

Je la suis en rampant. Une porte derrière un rideau. Je m’engouffre avec la petite et me retrouve dans un couloir éclairé par des néons. Je me lève et cavale tout droit, la petite est déjà loin à l’autre bout où une porte entrouverte nous montre… la lumière.

 

Ils étaient là qui m’attendaient. Les deux hommes en noir : mes commanditaires. Ils parlaient entre eux dans une langue que j’avais jamais entendue même à la télé. La gamine avait disparu… J’ai trébuché et je suis resté à genoux. J’ai levé la tête et j’ai souris… Tout ça paraissait tellement irréel. J’avais l’impression de vivre un cauchemar… Ils se sont arrêtés de parler et m’ont fixé un long moment. J’ai continué à sourire bêtement… même quand l’un des types à braquer un flingue sur ma tempe…

 

Et voilà docteur ! Je suis resté près d’un an dans le coma et pourtant je me rappelle tout. Comme si ce que j’ai vécu, ça s’était passé hier. J’ai pas vraiment de regret, vous savez. Non. Seulement, j’ai quand même l’impression de m’être fait manipuler. Je saurais jamais ce qu’ils voulaient vraiment ces mecs !

Si un jour on me laisse sortir de cet hôpital, je pense que je referai ma vie. Je crois bien que je vais m’engager dans l’armée…


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