« Oublie-là ! » me répète Jonathan. L'oublier ! Pourquoi ? Parce qu'elle m'a dit jamais plus ! Mais moi, je l'aime. Je l'aime ! Je l'aime.
Comment puis-je l'oublier ? Comment oublier son doux prénom ? Comment oublier son visage, ses yeux, sa voix ? Ce désir que je ressens pour cette femme, peut-il être effacé ? Peut-il disparaître ? S'évaporer comme la pluie tombée en été sur un paysage triste ? Puis-je me libérer de ce sentiment stupide ? Aimer quelqu'un ! Quelle idée ! Une femme en plus ! C'est plus qu'aberrant. On peut aimer une chose, car on peut la posséder. C'est pourquoi, j'aime ma voiture. Je l'aime, je la possède. Mais aimer une femme ! Quel sentiment pervers ! C'est dépassé, démodé, désuet !
Quand j'essaie de définir ce sentiment, les mots s'emmêlent, je n'y arrive pas. J'aime. L'amour c'est. Disons que lorsque je me trouvais avec elle, rien n'avait plus d'importance qu'elle. Plus rien n'existait. Il n'y avait qu'elle et moi. Comme c'est bizarre ! Un geste, un sourire, un regard en coin et je sentais frissonner mon corps. Est-ce cela, aimer ?
Elle est belle et elle me dit : « Monsieur, puis-je toucher vos cheveux ? »
Je réponds : « Oui. Puis-je prendre ta main ? » Elle fait : « Hmmm ! » Son contact est électrique, et doux, et tiède. J'enfreins la règle, je tente de lui toucher la joue. Elle me jette un regard accusateur, puis l'adoucit par un sourire gentil et tendre. Je dis : « Excuse-moi ! Puis-je te caresser.
— Embrassez-moi ! dit-elle. Oublions le règlement, il est fait pour les enfants. » Je m'apprête à lui faire. l'amour ! L'amour ? Comment est-ce possible ? Ce n'est qu'un acte charnel, dénué de sentiments autres que la jouissance physique, l'excitation de certaines parties du corps qui engendre des réactions chimiques dans l'organisme et donne du plaisir.
Mais je l'aime. Je décide de le lui dire. Va-t-elle, seulement comprendre ?
« Je t'aime ! je t'aime !
— Comment ? Monsieur ! Je pensais que vous étiez adulte ! Ces enfantillages ne me plaisent nullement. Vous êtes. Un sot ! Je vous considérais comme un ami, vous m'insultez ! Vous m'humiliez ! Quel gâchis ! Pourquoi vous comportez-vous de la sorte avec moi ? Votre corps est parfait, c'est un plaisir réel de vous avoir près de moi et vous. Vous gâchez ce plaisir par des paroles indignes. Avec de ces propos ignobles que l'on ne tient que dans les basses classes de la société, dans ces zones urbaines imperméables à la morale et à la culture. Est-ce ainsi que vous considérez notre relation ? Quel outrage ! Ah ! Comme je vous plains ! Aussi, je vous en pris : partez ! Partez et ne revenez plus ! Jamais plus ! »
Je n'osai ouvrir la bouche, et je refermai la porte. Je partis loin, très loin. Dans une île du Pacifique. Pour noyer ma peine dans les eaux turquoises, et ensevelir ma honte dans le sable blanc et. Revivre, repartir, revenir à Paris.
Jonathan m'a montré des livres, il m'a fait écouter des chansons. Tout n'était qu'obscénité mais je trouvais ça beau. Des mots horribles des « je t'adore ! », des « tu es à moi ! », des « Mon amour » s'adressant à des femmes ou à des hommes. Ces gens associaient tendresse et amour. Ils déclamaient tout haut qu'il n'y avait rien au monde de plus grand, de plus pure, de plus admirable que ce sentiment : l'amour. Et ces gens se liaient l'un à l'autre pour le restant de leurs jours. Comme c'est étrange ! Je t'aime, c'est beau ! Je t'aime, c'est magnifique ! je t'aime.
L'amour est une maladie. Je devrais me faire soigner. Peut-être. Jonathan me dit : « Sais-tu que ce que tu éprouves pour cette femme n'est pas une perversion comme on essaie de nous le faire croire. »
Jonathan a vécu trois dans une communauté où les mours qu'on y pratiquait étaient si dérangeants que les autorités décidèrent de la dissoudre et d'en condamner les principaux porte-parole.
« Ah ! Si je rencontrais une femme qui pense comme toi.
— Plus personne ne pense comme moi. Si tu crois être anormal, je ne peux que te conseiller de te faire soigner. Si c'est la paix du cour et de l'âme que tu désires, va, pars ! Ils te traiteront et tu ne souffriras plus. »
Ah ! Je suis enfin remis. Quel était déjà cette émotion que j'éprouvais en présence d'une femme ? L'amour ? Ha ! Ha ! Comme c'est drôle. quand j'y repense ! Je suis guéri à présent. Je ne ressens plus que les plaisirs sensuels lorsque je suis avec elle. Et j'aime le plaisir parce qu'il est à moi, je le possède, il m'a été donné, j'en dispose à ma guise, je l'aime ! Comme j'aime ma voiture, comme j'aime mon appartement parisien, ils m'appartiennent, ils sont à moi.
D'elle en elles, je viens et je vais, aux grès des courants de mes envies, de mes désirs. Je pars. De ville en ville. À travers le monde civilisé. Celui qui a connu la révolution sexuelle, l'émancipation des moeurs, et qui a aboli les sentiments. Il y a des siècles de cela. Je profite de la vie et du temps qui passe.
Et voici une autre elle. Elle se prénomme Marine. Jeune et jolie comme les fleurs de forsythias des prémices d'un printemps nouveau. Elle vient d'avoir 16 ans. L'azur s'est inséré dans ses yeux liquides, larges et profonds. Le soleil de l'océan Atlantique a déteint sur sa longue chevelure qui diffuse un parfum matinal, et quant à sa voix, claire et tendre, elle s'accorde à la brise de mer. Elle me dit : « Puis-je poser ma main sur ta poitrine ? » Je lui dis : « Oublions le règlement, il est fait pour les enfants ! Embrasse-moi ! »
Après.
Elle me dit : « Je suis confuse, puis-je te l'avouer.
— Quoi donc, ma beauté ?
— Je crois que.
— Que quoi ? » Oh ! Comme je connais ce regard.
« Que je… t'aime ! Je t'aime,
— Oh ! Comment ?… » Elle est malade !
Je suis parti ou plutôt, j'ai fui ! Je l'ai quittée car j'ai eu peur. Peur qu'elle me contamine, peur d'aimer, peur de souffrir à nouveau. Je souhaite ne jamais la revoir. Jamais plus.
Abdelkrim T'ngor © 1996 - 2025
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