«Tuez dix mille hommes, mais n'arrachez pas une patte à une araignée» La colère d'Allah Siben-abd-Alimah, dont le père est au ciel Pour avoir aux mandiants distribué du miel Quand, sous chaque épi blond faisant naître une épine, Par les moissons planait l'Ange de la famine, Siben-abd-Alimah, fils d'Hahr, aimait mieux voir Jaillir sur le poitrail de son fier cheval noir Le sang d'un ennemi qui râle une prière Et du coursier piaffant déchire la crinière, Que l'esclave enivrée, au son du gai tambour Verser sur ses flancs nus et gonflés par l'amour Le vin chaud du palmier qu'elle ne peut plus boire. Le sang était sa soif, et le meurtre sa gloire. Sur un lit de boas, il étendait cent Juifs : Et ses éléphants blancs broyaient leurs fronts plaintifs Au son des trompes d'or, aux rires des sultanes, Comme, au bois où tout craque, ils foulent les lianes. Les aigles du Sahra, sur ses sanglantes tours Que blanchissait la lune, arrachaient aux vautours Les têtes des chrétiens, violettes et pâles, Qu'entrechoquaient la nuit de lugubre[s] rafales. Prosterné sous ses pas, le peuples hurlait : «Le Grand!» Allah le regardait d'un oeil indifférent. Quand il avait pâli dans les bras d'une amante, Dormi dans ses cheveux, flots noirs et parfumés, Quand le ciel empourpré, jetant sa sombre mante, Fondait les astres blancs dans l'azur clair-semés, Ce n'était pas l'oiseau chantant dans la rosée, Ce n'était pas le vent sur la vague embrasée, Ce n'était un baiser, ce n'était l'hymne saint Qui chassaient le sommeil de son regard éteint, Mais un tigre mordant l'or de sa jongle riche, Ou roulant, en grondant, le crâne d'un derviches! Alors prenant l'enfant dont les baisers du soir Et les fades parfums faisaient languir l'oeil noir, Comme un lys qu'on effeuille et qu'on jette à l'écume Il la dépose nue en natte de plume Aux pieds du tigre aimé qui, Sultan à son tour, Boit la mort dans la coupe où Siben but l'amour! Allah le regardait, froid comme un dieu de marbre. Or un soir que dans l'ambre et l'or au pied d'un arbre Qui berçait trois pendus il fumait en rêvant Aux nonnes dont l'oeil bleu pleurait le noir couvent, Non pour ce qu'au sérail elles ne restaient vierges, Mais parce qu'au vieux cloître, à la lueur des cierges On pouvait être aimé sans être dévoré, Un soir que du chibouk un nuage azuré Ondulait follement sur son turban de moire, Que la brise était calme et l'aile des nuits, noire, Que les tambours de basque et le triangle d'or, Que la danse, où la vierge en prenant son essor Lance aux vents une rose effeuillée et tremblante Qui sur les noirs cheveux tombe en pluie odorante, Que tout jusqu'au ce diamant ailé, Tout s'était endormi, tout s'était envolé, Les songes seuls frôlaient de leur aile argentée Les longs cils de Siben ... il voyait une fée... Quand un grillon gémit sur le front du rêveur Qui soudain s'éveilla! Furieux, au chanteur Dans son chibouk brûlant Siben creuse une bière. Dieu fronça le sourcil et lança son tonnerre. Stéphane Mallarmé, décembre 1859 |