Anonyme Anonyme - Connexion - Membres : 210 • Visiteurs :  / Aujourd'hui :  • En ligne : 92
Connexion :  
Se souvenir de moi Mot de passe oublié ?
Pour devenir membre, Inscrivez-vous Inscrivez-vous

Le cosmonaute

 

I

 

UN jour je me trouvais assis sur la pointe d'une pyramide égyptienne. J'étais jeune alors. Je regardais en l'air, je zieutais le ciel, le soleil, la lune, les étoiles. Puis, très vite, j'ai eu le vertige et je me suis mis à dévaler l'une des parois de la pyramide à fond la caisse. Je me suis retrouvé la tête dans le sable à crier, à tousser, à insulter le monde. Ensuite, je me suis calmé.

C'est alors qu'un nomade qui passait par là et qui était à peine plus âgé que moi, me dit : « Eh gars ! » Il prononça mon prénom suivi de mon nom puis continua : « Au lieu de te poser autant de questions, tu ferais mieux de penser à ton avenir. »

Et l'homme s'en est allé, tout serein, tout bleu comme la mer toute proche - un mirage - qui lessivait le sable des dunes. A quelques pas de là, un sphinx égaré couleur sable se tordait de rire.

Aussi, tout confus et honteux, j'ai troqué mon scaphandre de cosmonaute contre un costume trois pièces et un attaché case, ensuite, je suis allé travailler.

 

II

 

Mon oreille distraite vagabondait dans les couloirs et les bureaux de quartz où j'entendais les incantations des prêtes en robe de chambre bardés d'insigne et de grands titres en CAPITALE. On disait qu'il était préférable de se trouver une voiture, une femme et des gosses. De s'inventer des soucis et des problèmes pour se gonfler le torse et se faire plaindre. On formulait que vivre, c'était sortir le soir, manger et boire, avoir une activité sexuelle et physique. Qu'il fallait en connaître assez pour parader mais pas trop pour éviter l'insomnie et les souffrances mentales. Je dus reconnaître que d'acheter un masque au supermarché du coin était plus que nécessaire si l'on souhaitait garder saine sa santé mentale.

Je fis donc ce qu'on me dit de faire pour être heureux. Mais je n'étais pas heureux et au travers des orifices du masque de porcelaine que je portais, mon regard s'égarait dans l'azur, mes oreilles s'imprégnaient des chants susurrés par le vent et je voyais le soleil sous une pluie fine s'épandre sur les mers où chevauchaient des voiles arc-en-ciel.

 

III

 

Les discothèques étaient des sanctuaires d'abrutissement et d'aliénation mais c'était l'un des seuls lieux où je trouvais l'inspiration. J'avais le tonnerre, les éclairs, le mouvement et les parfums des femmes que je pouvais sentir quand je glissais à leur cou quelques paroles subtiles, souvent inutiles car filtrées et déphasées, elles devenaient inaudibles. Je fis ainsi la connaissance de Néphra.

Néphra était une belle femme qui la journée additionnait et le soir félationnait, attentionnée et passionnée. Les premières paroles qu'elle prononça, quand je l'abordais, furent : « As-tu déjà fait l'amour avec une star ? » Étant moi-même un ancien cosmonaute et féru de poésie, je lui répondis que non, mais que j'avais déjà lu quelque part que les étoiles pleuraient selon certaines couleurs qui dépendaient, précisément, de la couleur de ses yeux ou quelque chose comme ça. Émerveillée et étonnée, elle quitta son mari et m'épousa sur-le-champ. Très vite j'eus des enfants. C'est alors que je sentis qu'on me pressait les testicules.

Le docteur diagnostiqua une forme particulière de névrose qui avait pour origine une pression dite sociale dans la partie inférieure du bassin autrement dit que le système me tenait par les couilles. Je connus alors l'angoisse des lendemains difficiles, la peur de perdre mon emploi et le vif espoir de gagner au loto. Et ma vie s'étira ainsi pendant quelques années.

Néphra avait vieilli. Elle s'était enlaidie à trop manger de gaufres. Elle ne riait plus que pour se gausser de moi quand je lui parlais de mes rêveries éclatantes qui pour elle n'étaient que vieilleries flétries et verreries ternes. Elle avait cessé ses gentillesses et n'avait plus rien à voir avec une reine égyptienne.

Un beau matin, elle et les enfants étaient partis, emportant avec eux mes souvenirs de vie rangée et ma voiture. Je me retrouvais encore seul. Je pleurais.

 

IV

 

Une nuit - je n'arrivais pas à trouver le sommeil -, je me suis levé. J'ai parcouru deux mille kilomètres pour me retrouver à nouveau dans le désert. J'eus une sacré chance ce soir-là car les médias avait infesté le secteur de conflits de toutes sortes, d'anciennes guerres qu'on avait déterrées de vieux livres et ravivées pour le plaisir de téléspectateurs toujours plus exigeants mais le soir même, les soldats de la paix mieux armés et plus aguerris, avaient réussi à imposer la trêve.

J'essayais de gravir la pyramide de mes jeunes années mais j'avais pris de l'âge et du poids et comme j'étais devenu trop réaliste, il m'était impossible de m'élever à l'aide des brillants idéaux de ma jeunesse. Je pris alors conscience que si je ne pouvais monter, je serais au moins capable de m'enfoncer davantage. D'ailleurs, dans la vie que je venais de quitter, j'avais constaté que seules les cuvettes de W-C permettaient de me mirer. Elles donnaient la seule véritable image de ma personne. Faut-il aussi rajouter que j'avais grandi dans les poubelles et que j'écrivais de la merde... Cela peut sembler bizarre... Je venais de toucher le fond et j'étais donc devenu selon l'expression : un crève.

Je m'attelais alors à la tache que je m'étais fixée : creuser un trou assez grand pour enterrer ce qui restait de ma vie. Je creusais nuits et jours sans pause jusqu'à ce que mon orgueil fût vaincu par la lassitude ; j'estimais le trou assez grand. Ensuite, je plantais des graines de fleurs que j'avais pris soin d'emmener avec moi pour me réconforter et donner un sens évident à la vie. Je les arrosais d'urine et les fertilisais à l'aide de mes excréments. Comme je n'entendais rien en botanique, le fond du tombeau fut rapidement tapissé de fleurs : Dahlia, lys, tulipe et renoncule... Je sautais alors dans le trou et m'y endormi aussitôt.

A mon réveil, je me suis enfin retrouvé planant dans le cosmos et je bondissais d'une étoile à l'autre, puéril et plein d'enthousiasme. J'étais mort un peu lâchement laissant à d'autres le soin de construire mon rêve d'Idéal, celui que j'avais longtemps cherché en vain.

 

Mars 1996


Télécharger l'œuvre au format papier (PDF) Télécharger l'œuvre au format papier (PDF)