Un rêveur.
CE matin, je me suis réveillé deux fois plus que d’habitude. L’ordinateur de bord avait déclenché l’alerte avancée, des missiles balistiques s’écrasaient sur l’esplanade de la station spatiale comme une pluie de météorites sous la lumière zodiacale.
Mes pensées étaient encore évasives du fait de mon trop long séjour en apesanteur à guetter le passage des comètes mais je pressentais depuis déjà quelque temps l’arrivée de ces changements qui allaient bouleverser ma vie.
Quand l’orage cessa, je découvris la défaillance de mon être.
Naïf encore, je m’agrippais à l’ombilical qui me reliait au satellite en orbite polaire autour de mes certitudes, ces valeurs sûres, apprises depuis le plus jeune âge comme les images des télescopes dont les miroirs pourtant ne sont que mensonges.
Longtemps, j’avais fait la lune comme une aventure fantastique relatée par le poète, bientôt à l’instar de certains artistes, j’atteindrais les étoiles. C’était cela mes rêves. Des désirs supersoniques propulsés à Mach 5 par un lanceur consommable et qui retombent comme Skylab après maintes révolutions autour de la Terre.
Et la médecine spatiale n’y pouvait rien.
On avait siglé mon mal, j’étais un prototype, je finirais mes jours à Cap Canaveral au milieu des carcasses de vieilles fusées ou tel une pauvre Laïka, abandonné dans une capsule spatiale attendant vainement que l’on vienne me remorquer. C’était un truisme pour un spationaute comme l’énoncé des lois de Kepler.
Dès lors, les distances et le temps s’étaient étrangement distordus pour ne plus former qu’un tout. J’étais à des années-lumière de ma délivrance, il me faudrait tout abandonner, cette enveloppe, pour recommencer après la métamorphose qui rapproche toujours, toujours un peu plus du vide sidéral.
Je regagnais ma cabine et je restais prostré dans un coin, incapable du moindre mouvement sous peine d’être anéanti par d’effroyables nausées. Jour après jour, mon angoisse croissait. Elle atteignit son paroxysme quand un message radio annonça le verdict. On m’ordonnait le maintien à poste, l’attente.
J’étais un prototype, le dysfonctionnement dont j’étais la victime n’était que le fruit du hasard, il me fallait l’accepter.
Enverraient-ils des techniciens de la NASA ou de l’ESA pour me venir en aide ?
J’espérais tout. Et j’espérais redescendre sur ma planète au milieu de ceux qui avaient été mes semblables, sentir à nouveau la pesanteur qui maintient les idées réalistes en place ; hélas, j’orbitais toujours dans l’expectative porté par les vents solaires, glacé et solitaire, puisant l’énergie de ce même soleil par deux panneaux semblables aux ailes gigantesques d’un ange bienveillant.
C’est dans cette confusion des sens que je perçus un soupçon d’entendement. La voix blanche des songes me parla.
Son timbre atone prophétisa ma délivrance prochaine. Je devais accepter cet état ensuite je pourrais opérer la mutation qui me ferait franchir ce cap et accéder ainsi à un stade nouveau de mon évolution.
J’espérais. Bientôt ! Bientôt peut-être…
L’espace était insondable, la terre un disque bleu, je n’étais qu’un quark à la dérive en quête de mon identité.
Ce matin, je m’étais réveillé deux fois plus que d’habitude. Il fallait bien qu’un jour… Comme on voit tout différent quand on réalise après bien des années aveugle, que l’on est soi-même différent.
septembre 1996
Abdelkrim T'ngor © 1996 - 2025
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