Une autre fois, j’ai embarqué une femme et sa fille, pour aller gare d’Austerlitz.
Et là, le coup au cœur. Ce mélange de beauté et de classe qui vous atteint comme un coup de poing, là, en plein dans les tripes, et qui vous retourne complètement.
J’avais déjà vu de jolies femmes, j’avais couché avec certaines, mais là…C’est bien simple, j’étais incapable de la quitter des yeux.
Aux deux tiers du chemin, j’ai pris mon courage à deux mains, et j’ai entamé :
- Madame, il faut que je vous dise quelque chose…
- Ne me dites rien ! me coupa-t-elle d’un ton qui n’admettait pas de discussion.
Méchamment mouché par cette réplique cinglante, je restai coi, et poursuivis le reste du trajet en silence, le regard toujours rivé au rétroviseur. Je ne sais pas par quel miracle je n’ai pas eu d‘accident. S’il y avait des feux rouges ou des stops, je ne les ai pas vus.
Nous arrivons gare d’Austerlitz. Elle me paye, rien à dire, je sors sa valise, et je m’adresse à l’enfant.
- Tu pars en vacances ?
Elle hoche la tête.
- Tu n’aurais pas une petite place pour moi dans ta valise ?
Elle tire la jupe de sa mère. Celle-ci se penche, la petite lui chuchote quelque chose à l’oreille.
Celle-ci me regarde durement, et me sort, là, sur le quai, devant tout le monde :
- Vous ne me sauterez pas !
Mortifié, je m’apprête à retourner au volant quand elle ajoute :
- J’ai bien vu que je vous intéressais. Alors, si vous voulez venir avec moi, vous pouvez, mais je vous préviens, il ne se passera rien !
- Chiche, que je dis.
J’ai planté là ma voiture, j’ai pris un billet deuxième classe pour Clermont Ferrand, et je suis monté avec elles dans le train, la gueule enfarinée et le sourire aux lèvres.
N’importe quel autre mec aurait pensé pareil, à ma place. Quinze jours en tête à tête, ma jolie, je te fais ton affaire, c’est sûr.
Après tout, malgré ses déclarations tranchantes, si elle acceptait qu’un parfait inconnu l’accompagne en vacances, c’est qu’il y avait un petit quelque chose, pas vrai ?
Et puis je ne suis pas un adonis, mais je sais que je plais aux femmes.
Pendant quinze jours, nous avons partagé le même appartement.
J’ai tout essayé. Tout ! Eh bien, croyez-moi si vous le voulez, mais il ne s’est rien passé.
Je n’avais eu aucun geste déplacé, mais j’avais eu quand même des attentions, des compliments, des audaces verbales, des appels du pied on ne peut plus clair. Il arrivait qu’on se croise en sous-vêtements dans la salle de bains, par exemple, ou qu’on se frôle dans la cuisine. N’importe quelle femme se serait laissée faire. N’importe quelle femme normale, je veux dire.
Là, rien, ce qui s’appelle rien. J’étais fou.
On a quitté Clermont Ferrand, et on est revenu à Paris. J’ai pensé à ma voiture, qui devait se trouver à la fourrière, à tout l’argent que j’avais dépensé pour m’habiller, à la fenêtre que j’avais dû laisser ouverte chez moi, aux explications qu’il faudrait que je fournisse. Ces vacances impromptues me coûtaient une fortune, et probablement pas mal d’ennuis.
Et là, en descendant du train, coup de théâtre. Elle me roule un patin, un vrai, du genre qui vous récurent les amygdales en faisant la poussière derrière, et me plante là, sur le quai, complètement ahuri.
Quinze jours à tout tenter, sans avoir la moindre ouverture, et maintenant ça…
Je suis rentré chez moi, j’ai récupéré ma voiture, payé l’amende, remis en état la moquette – il avait plu dans le salon.
J’étais complètement déboussolé, je n’y comprenais plus rien.
J’avais son numéro, mais je n’osais rien faire. Après tout, elle m’avait annoncé qu’il ne se passerait rien, et avait tenu parole, si frustrant que ce soit…mais alors, à quoi rimait le coup du baiser passionné ? Je ne savais plus à quel saint me vouer.
Trois jours plus tard, elle m’a appelé.
- Et alors, vous ne vous manifestez plus ? (On se vouvoyait. Je sais, ça peut paraître ridicule, mais c’était comme ça).
On s’est revu, bien sûr. Ca a duré six ans. Les six plus belles années de ma vie.
Pourquoi, me direz-vous, pourquoi ces quinze jours ?
Elle me l’a avoué un peu plus tard. En fait, elle en crevait d’envie, mais elle ne voulait pas que je la prenne pour une fille facile.
On ne peut que respecter une femme comme ça.
Matsu © 2007 - 2025
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