Alors les soirs de fin de semaine, les cafés font dancing et n’accepte à l’entrée que les habitués, les huppés ou les accompagnés.
Pigalle. Après avoir été refoulé du MCM café, nous avons fini par atterrir au Chao Ba, café où l’on sert du thé chinois. L’endroit semblait sympa quoi que bruyant et la vue agréable…
Il est des femmes que l’on voudrait aussi belle qu’elles sont cultivées. Hélas, notre société produit des abominations de femme à belle plastique mais à l’esprit creux, seulement bonne à baiser, si tant est qu’on puisse les baiser…
Ce soir, comme à mon habitude dans ce genre d’endroit où il y a plein de monde, où il y a plein de rire, je me retrouvais plongé dans des rêveries futiles. J’observais quelques femmes et je m’imaginais qu’il suffisait de venir leur parler pour qu’elle tombe sous le charme. Mais je laissais aux gens qui m’accompagnaient le soin de s’occuper de cette tâche que j’avais fini par juger, à force d’échec et de déception, ingrate et laborieuse.
C’est ainsi qu’une jeune femme me fut présentée de la manière la plus niaise, la plus minable qui soit. L’approche initiale est toujours une difficulté que beaucoup de gens n’osent surmonter. Celle-ci, heureusement, me fut épargnée.
Pour la décrire : c’était une pétasse à la peau mate, un beau visage, des cheveux de jais, un corps à faire dresser la queue de n’importe quel mâle… Elle disait s’appeler Rime, de quoi inspirer des poèmes en rimes ! Elle disait vivre à Paris, elle n’aimait pas la banlieue. J’ai dû dire par mégarde et de manière ironique que je la comparais à la déesse Athéna, déesse des artisans, des connaissances et de l’industrie, elle me rectifia en disant que c’était la déesse du savoir… Qu’importe, c’était aussi la déesse de la guerre, on n’allait pas se battre pour ça ! Elle prenait de grands airs, et je ressentais un peu de peine pour elle. Dès lors je savais que je n’avais aucune chance ; aussi je n’allais pas sacrifier quelques pièces pour l’offrande alimentaire. Je débitais donc des choses et d’autres sans conviction, cherchant un moyen de m’esquiver gentiment sans perdre la face. Au fil de la discussion, qui bizarrement s’était orientée littérature, je lâchais par mégarde le nom d’Edgar Poe.
Elle me dit alors : « Edgar Poe, ce n’est pas de la littérature !
— Ah bon ? Je pensais qu’elle allait m’expliquer que c’était de la poésie. Et qu’est-ce que la poésie, sinon de la littérature ?
— Non ! C’est du roman noir !
— Ah bon ! » Effectivement, il était précurseur du genre… mais bon !
« Et puis, il faut savoir qu’Edgar Poe s’est contenté de traduire Hitchkock… »
Ô infamie ! S’en fut trop pour moi, je coupais court la discussion en me levant brusquement sans un mot, abasourdi, décontenancé, et je partis rejoindre mes amis. Elle m’avait coupé toute envie, elle m’avait indigné même… Autant de connerie concentrée dans une femme ! C’est triste, c’est injuste…
Le son d’un rythme raï finit par emporter les dernières idées noires que j’avais accumulées au cours de cette piètre discussion… et j’espérais à nouveau en croisant le tendre regard bleu à la table d’à côté.
février 1999
Abdelkrim T'ngor © 1999 - 2025
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