Un ciel sans nuage

 

CE matin, c'est bien fini. Sandra. J'aurais souhaité te suivre mais le destin en a décidé autrement.Tes yeux, tes larges yeux grands ouverts fixe le ciel sans nuage,
Plus belle qu'au premier jour, le jour où je t'ai aperçu la première fois.

Un an. Pourtant, c'est comme si je t'avais toujours connue comme une amie d'enfance, comme une soeur d'un âge proche.

Le mois d'août, la canicule. J'ai marché un peu dans le jardin des Tuileries mais la chaleur oppressante m'a poussé à m'enfoncer dans les galeries du Carrousel du Louvre. Ici, il fait frais. Je bois un café au milieu d'une foule de gens dispersés un peu partout sur les tables. Ici, si je ne tiens pas compte de l'absence de lumière du jour, je trouve l'ambiance calme et anonyme. Je venais souvent ici.

Alors que mon regard erre au hasard, d'un visage à l'autre, je t'aperçois quelques tables plus loin. Sandra. Je ne pensais pas te trouver là. C'est d'abord l'éclat irréel de tes cheveux blonds qui m'a frappé ensuite j'ai reconnu ton visage. Tu parles à ce jeune homme aux cheveux noirs et brillants qui t'accompagne depuis quelque temps. Tu lui parles mais tu ne le regardes pas, tu regardes de mon côté. Le gars se lève en renversant le gobelet posé sur la table. Je perçois à peine la fin de ce qu'il te crie : « . Oublie-moi ! » Il s'en va. Tu allumes une cigarette regardant toujours dans ma direction. Je te souris. Je réalise que tu ne regardes rien en particulier. Le mouvement de tes yeux m'indique que tu es en train de débattre intérieurement. Je te regarde. Je considère tes formes très femelles, ta poitrine, ta taille fine, tes jambes, les traits de ton visage triste et beau, tes vêtements et ton maquillage un peu salope, … Je me lève pour aller déposer ma tasse là où s'empilent les plateaux. Cédant à un désir profond, je me suis décidé à te parler. Le cour battant, la gorge sèche, mon esprit s'obscurcit. que dois-je dire pour capter ton attention, pour ne pas paraître trop con. J'ai envie de toi, Sandra, allons chez moi, nous verrons après si ça colle entre nous. Commençons par la fin puis apprenons à nous connaître. Soyons d'abord amant, peut-être pourrons-nous être amis. Sandra. J'ai tant écris en pensant à toi. Je t'imaginais déesse de glace inaccessible, tu te donnais sans gène à ce jeune homme aux cheveux noirs et brillants qui passait son temps à mirer son corps dans tes yeux. Tes yeux, bleus comme un ciel sans nuage. C'est comme à travers lui que j'ai eu cette pensée alors qu'un instant auparavant, c'était l'orage, il voulait t'abandonner, te planter comme une sculpture de marbre au milieu de la galerie plongée dans la lumière diffuse d'un après-midi pluvieux. À ce moment-là, vous vous aimiez d'un amour hardcore, c'était une autre histoire et vous vous trouviez au musée d'Orsay. J'étais présent aussi.

Maintenant, il est parti, tu es assise, absorbée par une image que seuls tes yeux peuvent contempler, une image de ton esprit troublé : il ne reviendra plus. Oublie-le.

Je fais un geste pour déposer ma tasse, je te regarde toujours espérant attirer ton attention. Je ne suis qu'à quelques mètres, tu es toujours absorbée par tes pensées. Je ne fais pas attention à la tasse qui vient heurter le sol, c'est alors que tu tournes les yeux vers moi et remarquant enfin que je t'observe — peut-être —, tu me souris. Embarrassé, je m'empresse de ramasser la tasse restée intacte puis je fais un pas vers toi. Tout près, je dis : « Tu m'as troublé.

— On se connaît ? réponds-tu, hautaine. Tu éteins ta cigarette d'un geste nerveux, puis relève le gobelet renversé duquel s'écoule un peu de Coca-Cola.

— Peut-être. » Je m'installe à ta table. Tu ne manifeste aucune réaction. Je me lance dans un monologue. Je parle de tout et de rien, de la chaleur, de la pollution, des touristes qui pullulent tout le mois d'août et des vacances que je viens de passer en Corse. Toi, tu ne dis rien. Tu sembles t'ennuyer, et tu jettes des regards un peu partout comme si tu attendais quelqu'un, comme si tu étais pressée qu'il vienne.

Tu cesses brusquement de regarder autour et tu me regardes dans les yeux : « Tu sais rouler un joint ? » me demandes-tu. Sans attendre ma réponse, tu sors des feuilles à rouler et du cannabis séché que tu poses entre ton paquet de Camel et le gobelet vide.

« Je ne sais pas fumer. Je n'ai jamais appris… — Tu souris.

— Ce n'est pas la question !

— Tu as raison. »

Je prends une feuille, une cigarette et, avec l'herbe, je m'applique à faire le joint du mieux que je peux, gauchement, en jetant des regards inquiets autour de moi. Toi, tu me regardes, le menton en appui sur tes deux mains, les coudes sur la table, la mine triste. Je me suis toujours demandé si le fait que je sois noir t'ait posé un problème. Tu disais ne pas avoir de préjugés racistes. Tu disais : « La couleur, c'est rien ! » Et ton sourire était un arc-en-ciel de beauté.

Quand je te présente le fruit de mon travail, tu éclate de rire.

Ton rire, c'est ton rire que je regrette le moins. Ton rire moqueur plus tranchant que la lame d'un couteau. Je t'aurais fait mal pour toutes les fois où tu te moquais de moi mais à chaque fois je préférais ne rien dire et puis je m'enfuyais. Pourquoi me rappelles-tu ? Tu me dis que tu ne comprends pas mes réactions, que tu ne décryptes pas mes silences et mes longs regards posés sur toi.

Tu ne m'aimes pas. Ces mots sonnent comme la chanson bleue d'une âme en peine. C'est une lamentation triste qui lentement vient mourir avec les gémissements aigus d'une guitare électrique.

Très chienne, un peu salope voilà comment je te vois à présent. Tu as commencé très vite avec moi. Tu faisais l'amour sans sentiment et tu ne faisais pas l'effort de simuler le plaisir anéantissant du même coup mon désir pour toi. Je t'aime pourtant, et toi, tu n'aimes que toi.

Toi,

je pense t'avoir créée lors d'une rêverie dans un parc, le matin. Dans ces moments, mes pieds ne touchent plus le sol, mon esprit s'évade, j'écris. J'écris sur toi. Si tu existes, c'est comme une extension de mes fantasmes. Sandra : grande, belle et blonde, un peu salope, douce à caresser, bonne à prendre, toujours docile, des yeux bleus, un sourire angélique, un rire moqueur. Je te prends mais à chaque fois je suis déçu, je veux fuir ton rire moqueur. Mais alors que le dégoût m'envahit, la nausée, l'envie de fuir, la tristesse accablante : tes yeux. Tes yeux m'attirent, et l'espoir renaît, tes yeux sont un appel au rêve, câlin et doux, j'aime tes yeux. Quelques fois tu te blottis contre moi et je sens ton parfum à la mode : Angel ? Poème ? Paris ? J'imagine être heureux.

Si j'avais eu une sour, j'aurais aimé que tu sois cette sour, je n'aurais pas eu à te prendre, j'aurais pu te caresser les cheveux, tu m'aurais confié tes secrets. Tu m'aurais raconté tes amants. Ben, le garçon aux cheveux noirs et brillants. Ton corps, c'est à cause de lui que je ressens ce manque, cette douleur lancinante. Ton corps, très femelle, lascif et sensuel, un appel au désir, un appel au plaisir. Tellement de nuits blanches passées à te caresser. tu t'en foutais, tu dormais.

Tu fumes maintenant. J'attends en silence en te regardant. Tu souris, tu répètes : « Quoi ? quoi ! » Je ne réponds pas. Je n'arrive pas à réaliser que je t'ai abordé et que nous nous parlons aussi librement.

On sort dans la rue. On marche lentement en direction de la place de la Concorde tout en parlant de choses sans importance — la Porsche jaune qui stationne le long de la rue, les trucs dans les boutiques pour touristes, le temps encore et tes yeux que je trouve trop beau.

Quand on marchait ensemble, tu me tenais le bras, des fois. Souvent, on aurait pu penser que nous n'étions pas ensemble tant tu semblais te tenir à l'écart. Ça ne me gênait pas, je n'ai jamais aimé exhiber mes sentiments en public, j'ai toujours apprécié l'intimité de notre relation. Comme un amour secret, comme deux amants qui se cachent du regard des autres.

 

« Comment vous êtes vous rencontrez, finalement ?

— Je suis tombé sur une photo d'elle dans un magazine et ça a été le coup de foudre. Par un pur hasard, j'ai appris son nom et je l'ai suivie pour apprendre où elle habitait. Je traînais souvent dans son quartier, espérant la rencontrer et lui parler. Le destin nous a réunis un jour dans le même endroit. J'ai pris mon courage à deux mains et je suis allé lui déclarer ma flamme. Tout c'est passé très vite. Je l'ai séduite, je crois. Le récit de mes exploits passés. J'ai lu Othello. Desdémone. Vous. vous riez ?… »

 

L'effet du cannabis se manifeste chez toi par des petits sourires et des regards en coin qui semblent vouloir dire quelque chose, comme un appel à la tendresse. J'ai envie de toi. Nous nous arrêtons en face des grilles du jardin des tuileries. Je caresse tes cheveux, ton visage.

Nous nous sommes quittés. Je n'ai pas osé t'embrasser. J'ai eu peur, je crois, que tu le prennes mal, que tu penses que je profite de ton état euphorique pour abuser de toi.

Je n'ai pas vraiment été surpris d'entendre ton message sur ma boîte vocale : « Sandra. La fille du Louvre, tu te rappelles. Je me suis dit. Ce serait bien qu'on se revoit. Rappelle-moi, si tu veux au 01 45. » Un peu inquiet, seulement.

 

Tu n'as jamais rien projeté avec moi. Tu n'as jamais laisser entendre que tu voulais construire quelque chose avec moi. Tu m'appelais, on se voyait. Et à chaque fois, nous faisions l'amour.

 

« La Corse, c'est très beau. J'ai aimé mon séjour l'an dernier, là-bas.

— Je t'offre l'occasion de venir avec moi, là-bas. Ne te sens pas gêné et accepte. Je suis fatiguée des journées de photos, je pense qu'une semaine en Corse me reposera. Tu sais, je ne t'appelle pas souvent, mais ne pense pas que je vois d'autres hommes. Je n'ai que toi, même si tu penses le contraire. Je te trouve très intéressant, et puis. en plus tu es très beau. Des fois, je te sens tellement éloigné de la réalité. C'est drôle de voir un homme si fort, si grand, et dont les pieds ne touchent jamais le sol comme ces anges sur les peintures ; on dirait que tu rêves. Tu m'as dit que tu écrivais ? Me feras-tu lire ce que tu écris ? C'est vrai, j'ai un faible pour les rêveurs, je les trouve tellement fragile comme un enfant.

— Nous irons là-bas, puisque. » … tout doit finir là-bas.

 

C'est une route de montagne. Tu ris, tu as fumé et en plus, tu as bu. Les tournants, la vitesse me donnent des nausées. Tu ris. Je te dis d'aller moins vite mais tu ne fais que rire. Tu accélères. Comme tu es belle quand tu ris, quand tu te moques de moi, c'est désolant. J'ai envie de t'embrasser, j'ai envie de t'enlacer. Une heure plus tôt, nous étions à la terrasse d'un café, je venais de t'annoncer que je voulais rompre. Je n'y croyais pas vraiment moi-même mais il fallait que je te le dise. Tu as ris et puis tu m'as demandé de te rouler un joint pendant que tu buvais ton deuxième cocktail. C'était le milieu de la matinée et tu n'avais rien mangé.

Je me souviens de tes yeux quand nous sommes sortis de la route pour aller nous écraser quatre mètres plus bas dans le ravin. J'ai vu un ciel bleu sans nuage. Tes yeux. C'était le ciel bleu de montagne. Le rouge qui coule de ton front maintenant n'enlève rien à ton regard. Des fragments du pare-brise parsèment ta chevelure comme la rosée sur les arbres. Comme tu es belle ! Mon rêve, mon cour, mon amour.

Qui de nous deux est mort ?

Le réel ne s'estompe pas facilement. Je suis toujours de ce monde.

Je pense que je vais marcher jusqu'au prochain village, mon téléphone portable ne fonctionne pas dans cette région. Ça tombe bien, j'ai envie de marcher. J'ai un peu mal derrière la nuque et à ma jambe droite. J'ai la nausée. La nausée passera comme ma tristesse aussi. Demain, je rentre à Paris. Quelqu'un préviendra ta famille, je rentre. Le jour est déjà très avancé, le soleil approche du zénith. Quel beau paysage que ce paysage ! Dommage que les gens ici vous fassent sentir que vous n'avez pas la couleur locale. Bah ! Je retourne à Paris. Finalement, il n'y a que là que je me sens bien. Paris. Les promenades, avec Sandra. Ma regrettée Sandra. J'avais imaginé pour toi une fin moins tragique. Je voulais te quitter. Oui. Je t'aime toujours autant. Tout est fini ?

 

Le chemin serpente à travers la montagne.

C'est un ange noir sur un fond bleu. Débraillé, le pauvre diable avance clopin-clopant. Pourtant, ces pieds ne touchent jamais le sol. Il se raconte des histoires comme un enfant. Il pleure.