Les taxis, c’est comme la prostitution.

Comme les prostituées, les taxis prospèrent quand les clients sont dans la rue.
Les chauffeurs de taxi ont leur visite médicale annuelle au même endroit que les prostituées.
Comme les prostituées, ils peuvent être condamnés pour racolage.
Et comme les prostituées, ils sont payés pour transporter leurs clients.

Cela fait quarante ans, donc, que je me prostitue. Et j’en ai vu de belles.

J’ai mes petites habitudes. Le jeudi, j’ai relâche. J’en profite pour aller voir mes potes au relais de l’Ouest, dans le XIVe. Juste à côté, il y a une station de taxi où il n’y a jamais de taxi, et pour cause, elle n’opère plus depuis trente ans. Mais comme place de stationnement réservée, c’est bien pratique.
Comme tous les jeudis soirs, je m’y étais garé, en berne (ça, c’est quand il y a juste la petite lumière bleue, et pas le panneau illuminé qui clame « TAXI » à la face du monde, là, juste pour vous, le véhicule providentiel qui va vous sauver la mise. Je précise ça pour les ignares et les provinciaux, et entre nous, pour les parisiens, c’est à peu près la même chose).
J’étais avec les copains au bar, quand j’ai vu un type, crâne dégarni, costume étriqué, attaché-case, du style aide-comptable, ou employé administratif souffreteux, planté au niveau du poteau ‘Taxis’, à côté de ma voiture. Clairement, il attendait un taxi qui ne viendrait jamais.
Comme je ne suis pas le mauvais bougre, je suis sorti et je lui ai indiqué que s’il voulait un taxi, il ferait mieux d’aller à l’autre station, cent mètres plus loin. Aucun ne passerait par ici.
-    Comment le savez-vous ? m’a-t-il demandé.
-    Je le sais, parce que c’est ma voiture, là. Mais comme vous le voyez, je suis en berne, je ne travaille pas aujourd’hui.
Je lui indique comment rejoindre l’autre station, qui n’était pas bien loin. Le type m’a remercié, et je suis rentré dans le bar.
Une heure plus tard, j’en suis ressorti. Croyez-moi si vous le voulez, mais le type était toujours là, avec sa petite mallette. Visiblement, il était déterminé à monter dans MA voiture. En plus, il était plutôt énervé, après toute cette attente.
Je lui ai à nouveau expliqué que je ne travaillais pas aujourd’hui, et que non, même pour cent mètres, il ne monterait pas dans mon taxi. Non mais ! Même Dieu s’est reposé, le dernier jour.

Croyez-moi si vous le voulez, mais l’aide-comptable a écrit à la préfecture – nous autres taxis, on dépend de la préfecture. Quinze jours plus tard, j’étais convoqué, et suspendu pour un mois. Et pourtant, il avait relaté véridiquement les faits.